Roche - Chapitre 1
Bragall est bien dans sa forêt. Les arbres, les animaux et la vie qui l’y entourent lui plaisent. Il s’y sent en sécurité, plus encore qu’à Dakara. Non pas que son village soit désagréable. Mais au milieu des bois, il se sait dans son élément. Uni avec Roche, comme faisant partie d’un tout, d’un ensemble. Il connait chaque arbre à la perfection et chacun lui rappelle de nombreux souvenirs. Sous celui-ci il a suivi le rite de vie. Sous un autre, il a connu les plus belles des siestes qu’Ether puisse offrir. Sous-celui-là, il a embrassé Istha, Celia, Orène… C’est au sein de cette forêt que Bragall a vécu toutes ces années, plus qu’au milieu des Tarks, les habitations traditionnelles de son peuple. C’est ici qu’on lui a appris l’art du combat et celui de la pensée. Ici qu’il a appris à séduire et à aimer. Il a peut-être passé plus de temps dans son village, mais c’est entre ces arbres qu’il a échoué à la magie et maîtrisé l’art de la chasse.
Cela ne fait que quelques jours qu’il peut enfin partir seul. Le rite qui lui a attribué son métier, le rite de vie, a été grandiose. Les festivités ont duré jusque tard dans la nuit ; et les étoiles ont veillé sur le jeune homme, bénissant son passage de leurs lumières. Comme beaucoup de ceux de la dernière génération, Bragall est un chasseur singulièrement doué. C’est un bon signe : avec de tels trappeurs, le clan pourra prospérer en taille, en richesse et en réputation pendant plusieurs années.
Le fait que très peu de jeunes aient choisi de se placer sous la garde de Riul aurait pu être inquiétant, mais heureusement ceux qui suivent ses préceptes ont une longue vie, et la vieillesse renforce leurs capacités. Le village ne devrait donc pas manquer de savants, chamans ou médecins avant encore une ou deux générations. Pour le moment, Dakara fourmillera des denrées rapportées par les jeunes chasseurs, et tous en profiteront.
La première chasse est la plus importante, et certains la considèrent comme la dernière phase du rituel de vie. Elle forgera au plus profond du chasseur ses habitudes et ses méthodes, et lui permettra de choisir ses terrains de prédilection. C’est la première fois, après des années d’apprentissage et de chasse en groupe, après des années à suivre les directions données par le maitre ; c’est la première fois que le jeune chasseur peut mettre en pratique l’ensemble des techniques et des savoirs que le clan lui a transmis. C’est à cet instant que le nouvel adulte choisira de suivre les méthodes anciennes et de les perfectionner ; ou de tester de nouveaux sentiers, de nouvelles voies, enrichissant encore et toujours le savoir du clan. Et puis la proie, surtout. Aucune règle ne le dicte, mais chacun choisira toujours de chasser la proie qu’il aura ramené lors de cette première chasse, pour le reste de sa vie. Elle sera ce qui définit le chasseur, recevant le respect infini de celui qui la traquera et tuera durant des années, pour le bien de Dakara.
C’est aussi la seule chasse qui n’a pas de limite de temps. C’est la seule pour laquelle le chasseur est entièrement libre et ne subit aucune contrainte, pas même les siennes. Ses actes d’alors seront ses contraintes d’après, traçant sa voie, déterminant ses prédilections. Aujourd’hui Bragall est libre, dans sa forêt. Il sait que ce jour est unique, et il en profite autant que possible.
C’est pourquoi il est sous Esthr, son arbre de sieste. Désormais, ses chasses commenceront toujours ainsi.
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Les Dakrans sont un peuple à part sur Roche. Outre leur physique imposant et leur mode de vie étrangé, un de leurs aspects les plus méconnus et pourtant des plus singuliers est leur art de la sieste. Cette pratique est unique sur notre planète, et aucune autre peuplade n’a développé de culture semblable. Les autres humains ne connaissent que le sommeil classique, qui consiste à mettre en veille la plupart des fonctions sensorielles de l’individu et à délaisser tout contrôle conscient du corps. Le Dakran a lui réussi à transcender ce sommeil. Lors d’une sieste correctement pratiquée, ses sens sont exacerbés, et tout ce qui l’entoure pourra être parfaitement appréhendé. À la mise en veille de la conscience, l’environnement sera intégré et perçu comme le corps de l’individu. Ainsi il délaisse bien tout contrôle conscient, mais son esprit en veille perçoit l’ensemble de l’espace proche comme étant sien. Il perçoit alors les arbres, la terre, les animaux et même l’air qui l’entoure comme un tout global et cohérent. De plus, de la même manière qu’un humain normal se réveillerait en cas de trop grande perturbation envers son corps physique –coup, bruit excessif, mouvement soudain- le Drakan sortira de sa sieste dès que quelque chose d’inattendu – ou d’attendu – intégrera son environnement immédiat.
Théoriquement, Les Dakrans devraient pouvoir dormir de la même manière aux côtés des constructions de nos civilisations plus avancées, mais aucun sujet n’a pu être amené à tester ou témoigner ce fait.
Cependant, cette forme de repos semble ne pas suffire à l’organisme humain, puisqu’il a été montré que les Drakans ont aussi besoin de sommeil classique, au même titre que les autres habitants de Roche. Cela a été parfaitement attesté lors du massacre de Testia.
Histoire naturelle de Roche. Tome 2 – Les races Barbares.
Ruvin Bola.
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Bragall ne s’attendait pas à cette rencontre ; mais c’était parfait.
Sa chasse serait définitivement unique.